Le jeu chez le cheval... bon signe ou mauvais signe ? Une chronique de Sandy Letarte, t.e. Formatrice Équin Communication
- 03 May, 2018
- Les chevaux
Tout d’abord, qu'entend-t-on par «jeu» exactement? Comment pourrions-nous définir l'action de «jouer» chez un cheval? Les chevaux ne sourient pas, ne rient pas et ne pleurent pas. Leur langage est bien différent de celui des humains et des chiens que nous connaissons souvent mieux. Il faut avoir l'oeil bien aiguisé pour voir de la peur là où tous les gens voient de la fierté, pour voir de la frustration là où tous les gens voient de l'enthousiasme, pour voir un cheval qui pète les plombs alors que tout le monde voit un cheval qui s’amuse....
Comment donc savoir si un cheval est heureux et a du plaisir? En fait, le seul moyen d'être certain à 100% de l'état d'esprit réel des chevaux lorsqu’on dit qu’ils «jouent» serait de mesurer le taux de certaines substances chimiques (adrénaline, cortisol, dopamine, endorphine et sérotonine), ce qui révèlerait si le cheval a du plaisir ou non.
Mais faute d'étude scientifique, dans la pratique il est aussi possible de se faire une idée. On constate que les chevaux dont les besoins fondamentaux ne sont pas comblés (par exemple cheval confiné au box, sans contact avec des congénères, rationné dans son fourrage et soumis à un entraînement intensif générateur de stress) vont présenter beaucoup plus de «comportements qualifiés comme du jeu» que les chevaux vivant en troupeau, libres, avec du fourrage à volonté, et en l’absence presque total de stress. C'est là un indicateur majeur. La scientifique Martine Hausberger, directrice de recherches au CNRS, chercheuse pour l'Université de Rennes et auteur de plus de 80 publications dans des revues scientifiques internationales, a également mis cela en évidence dans son article: «Le jeu chez le cheval adulte : indicateur de bien-être ou de mal-être ?».
Chez les animaux, le «jeu» s'observe surtout chez les jeunes individus et se rapporte à des comportements que l'animal aura à vivre dans sa vie d'adulte (rituels liés au combat par exemple). Chez la proie, on peut voir dans la nature de jeunes étalons ou de jeunes cerfs pratiquer leurs techniques de combat sans enjeu réel. Chez les prédateurs, on peut voir de jeunes loups ou de jeunes lions se chamailler ensemble, ce «jeu» est essentiel pour leur permettre de développer des techniques de combat, connaître leur force, etc. Chez les adultes, on peut observer une forme de «jeu» entre les partenaires dans un rituel de reproduction, ou entre les membres d'une meute qui sont proches pour raffermir les liens. Chez les proies, ce genre de «jeu» n'est pas observé chez les adultes à l'état sauvage. Les chevaux utilisent d'autres moyens (comme le toilettage mutuel) pour resserrer les liens entre eux, mais pas le «jeu» comme on le conçoit nous les humains.
Le «jeu» observé chez les animaux à l'état sauvage (et donc qu'on pourrait qualifier de «sain») implique au moins deux partenaires. Un cheval qui commence tout seul et sans raison à courir, ruer, sauter et aller déranger ses congénères n'est PAS un comportement qu'on retrouve chez les chevaux vivant dans la nature mais plutôt l'indicateur d'un déséquilibre intérieur chez le cheval. Ce n’est pas dramatique de voir son cheval faire quelques galipettes à sa sortie au pré après un séjour en boxe, puis une fois son trop plein d’énergie sorti, se calmer et commencer à manger paisiblement. En fait, même si cela témoigne d’une tension accumulée, c’est une façon saine de l’exprimer et de se défouler. Vaut mieux un cheval qui explose qu’un cheval qui garde tout à l’intérieur, s’isole et continue de «ruminer» dans son coin même lorsqu’on le remet en liberté. Là où le «jeu» devient problématique, c’est quand le cheval ne retourne pas vaquer à ses occupations au bout de quelques ruades, qu’il n’arrête pas de courir, qu’il a la queue levée (signe de tension extrême), qu’il sème la pagaille dans le troupeau, etc . On a affaire là à un cheval qui n’est pas bien émotivement et dont l’accumulation de stress ne date pas d’hier.
Une autre forme de «jeu» qu’on observe souvent est lorsque les chevaux «s’amusent» avec les objets. Par exemple quand deux chevaux tirent sur le licol de l’autre, qu’un cheval trouve un morceau de corde et la tient dans sa bouche pendant des heures, etc... Un cheval va avoir des comportements de curiosité et d’exploration normaux face à un objet nouveau et neutre: il va aller voir, sentir, toucher, puis s’en désintéresser. Par contre, lorsque le comportement d’exploration ne finit pas, qu’il s’intensifie, devient obsessionnel ou agressif, il révèle des frustrations. Ce ne sont pas là des comportements normaux et des chevaux qui n’ont jamais été manipulés par des humains ou qui n’ont jamais vécu de stress en lien avec de l’équipement ne présenteront pas de tels comportements. Le cheval ne «joue» pas, il ne s’amuse pas, il ne retire pas de plaisir du fait de mordiller une corde pendant des heures. Il se défoule, il exprime un stress qu’il a vécu avec de l’équipement, ou le fait qu’il n’avait jamais eu jusque là la possibilité de prendre contact, de «faire connaissance» avec l’objet à sa guise. Un cheval qui a eu une mauvaise expérience avec le mors par exemple, peut prendre une corde dans sa bouche et la placer exactement à l’endroit du mors, puis tomber «dans la lune» et ne plus bouger pendant de longues minutes, comme s’il revivait la scène dans sa tête.
Un cheval seul en boxe toute la journée et qui de surcroit n’a pas du foin à volonté va présenter des comportements comme des tics, gruger son boxe, taper du pied, ruer, montrer les oreilles (augmentation de l’irritabilité due à la frustration, comme chez les humains!) et au lieu de lui permettre d’aller dehors, les gens vont lui acheter des «jouets» pensant qu’il s’ennuie.... Au risque de vous décevoir, s’il mord avec autant d’ardeur le joli ballon bleu que vous lui avez acheté, ce n’est pas parce qu’il a un plaisir fou à s’amuser avec lui, mais bien parce qu’il redirige toute sa rage contre cet objet. On qualifie souvent de «jeu» les comportements sans but précis qu’on n’arrive pas à expliquer chez notre cheval. Mais n’oubliez jamais que pour qu’un jeu en soit un, il doit impliquer la notion de «plaisir».
Alors... bien déprimante, pour un propriétaire de cheval, l'idée d'une vie sans jeu? D'un point de vue humain, peut-être... Mais le cheval est ainsi fait, et il ne s'en plaint pas! En réalité, les chevaux en tant que proie préfèrent la détente, l'absence de stress. Quand tous leurs besoins sont comblés (eau, nourriture, espace, liberté, congénères, minimum de stress avec l'humain...) c'est là que le cheval est bien! N'est-ce pas là le plus important?
Sandy Letarte, www.equincommunication.com
Claudia Parent, www.therapie-animale.com